La scénographie pour les Nuls

Par Pierre Gendronneau, rédacteur du blog EVT

Ça y est, vous avez choisi votre pièce. Les raisons ne sont que trop nombreuses pour que nous nous y arrêtions, alors disons simplement, que, quelles qu’elles soient, elles servent votre vision et votre compréhension de ce qu’est l’Art. 
Et c'est précisément ce que vous souhaitez défendre devant votre public. Le texte est là, la mise en scène aussi, les comédiens connaissent leurs lignes.
Pourtant, c'est maintenant que va se décider le succès et la portée artistique de votre pièce. C'est maintenant que l'on va pouvoir tester la sincérité, la générosité, la force et l'authenticité de votre mise en scène.
C'est le moment de choisir votre scénographie.

Partons d'une base simple : n'ayez aucune base, aucun point d'appui, aucune contrainte a priori. Ce n'est pas parce que d'ordinaire vous jouez dans telle salle que votre spectacle ne serait pas mieux en théâtre d'appartement, ou joué ailleurs, dans des lieux insolites. Ce n'est pas parce qu'il vous reste des éléments de décor, de technique, de lumière, que vous devez les réutiliser. Profondément, votre scénographie doit se construire comme votre mise en scène s'est déterminée : à la croisée du texte et de ce que vous êtes. 
Que voulez-vous montrer, suggérer, défier, détruire, éviter, créer, installer? Les mêmes réflexions ont sans doute été à l'oeuvre lorsqu'il s'est agi de déterminer comment vos personnages évolueraient, comment vous dirigeriez vos comédiens. 
Sauf qu'ici, les horizons sont encore plus infinis : vous n'êtes pas limité par un comédien, quel que soit son talent, par son apparence physique, sa façon de parler, sa gestuelle. Vous n'êtes pas prisonnier du texte. Non, vous êtes son compagnon de cellule. Vous pouvez triturer, jouer, chercher, remodeler, tant que vous respectez une chose : l'auteur, sa pensée, son message, et surtout vous-même.
N'illustrez pas, ne comblez pas une lacune de votre mise en scène, n'accumulez pas des éléments de décor au fur et à mesure de votre pièce en fonction de vos besoins, sans que le décor n'ait en lui-même une essence commune, et ne paraisse comme un tout. 
Cherchez des images, des textures, des époques, des sensations, des goûts, des odeurs. Créez l'ambiance, l'atmosphère, la scène qui supporte votre pièce, l'interprétation que vous en proposez. Créez un décor qui renforce le jeu des comédiens, et que le jeu des comédiens fait rayonner. 
Ne regardez pas ce qui a été fait comme quelque chose qu'il faut atteindre, imiter ou au contraire éviter, défier ou combattre. Soyez à la fois ouvert aux techniques, aux inventions, aux stratagèmes trouvés ici et là pour tel ou tel scénographie, mais créez votre monde! 
Enfin : le théâtre ne vit pas que pour le théâtre. Le théâtre est un Art, est l'Art, et en cela, les autres disciplines artistiques sont une source d'inspiration première : musique, tableau, sculpture, photographie, gravure, esquisse, film... 

Vous doutez? Vous voulez un exemple? Vous voulez comprendre ce qui se cache derrière cet ensemble de conseils abstraits? 
Bien, prenons deux exemples : comment résumer Oedipe-Roi de Sophocle, et La Mouette de Tchekhov, en une seule image? 
C'est possible : 

 
 Voici Oedipe : deux mondes jumeaux, aveugles, l'élite contre le peuple, le prophète aveugle qui voit l'avenir contre le tyran aveuglé qui en se crevant les yeux, recouvre la vue sensible de la vie

 

Voici la mouette : la beauté, la laideur et l'inutilité de l'Art, comme de la Vie. L'absurdité de la condition humaine dont la tentative de fuite n'est vouée qu'à l'échec. Et qui reste pourtant notre terrain de jeu temporaire.

Ce n'est pas un décor, ce n'est pas une salle de théâtre précise, mais c'est l'idée que porte viscéralement le texte, l'auteur, le metteur en scène. C'est vous, c'est ce que vous voulez faire entendre, voir, comprendre au public.
Plus vous semblez être dans l'inconnu, plus vous vous rapprochez de ce que vous êtes et de ce que le texte signifie vraiment pour vous. Cherchez la nouveauté, soyez déstabilisé, échouez, recommencez, prenez les choses sous un autre angle.
Accoucher d'une scénographie convaincante peut nécessiter au mieux les forceps, au pire la césarienne. Mais rien ne vaut ensuite le plaisir de rendre votre mise en scène efficace. De plongez le public dans un décor qui n'est pas là "pour faire comme si" ou "pour ressembler là" mais qui parle, participe à votre histoire, et participe à l'expérience théâtrale que vous voulez faire vivre à votre public, à vos comédiens, à vous-mêmes.

Encore quelques doutes? En quête de modèles? Bientôt, le troisième volet de notre saga scénographique : une histoire de la scénographie européenne et américaine depuis le mi-19e siècle! 

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